Critères de sélection de la farine à
pain biologique
par Pierre Gélinas
Résumé
1. Débouché. Le blé biologique
panifiable est généralement moulu sur pierres pour fabriquer des pains cuits
sur sole (sans moule).
2. Propreté. Avant leur livraison à la meunerie, les grains de blé
doivent être en santé, très propres, non germés et bien entreposés pour éviter
la multiplication de moisissures formant des mycotoxines. S’il n’est pas
éliminé de la surface des grains, tout contaminant (saleté, toxine, etc.) se
retrouve dans les pains biologiques parce que la farine produite sur meules de
pierre contient des quantités variables de la couche extérieure des grains
(son).
3. Dureté. Les grains de blé doivent être les plus friables possible
(peu durs) pour éviter que la mouture intense endommage trop l’amidon. Dans ces
conditions, la farine absorbe mal beaucoup d’eau qui migrera éventuellement
dans la croûte du pain cuit sur sole et la ramollira (défaut).
4. Protéines. Les grains de blé doivent contenir des protéines de
qualité (peu importe leur quantité), mais moins fortes que pour les pains cuits
en moule sinon la croûte des pains cuits sur sole sera caoutchouteuse et
résistera à la mâche (défaut).
Aide-mémoire sur les farines
Le
grain de blé est formé de trois parties : l’intérieur (amande), l’extérieur
(son) et le germe. La farine est entière ou complète si elle vient de 95-100 %
du poids du blé. Pour éviter d’incorporer dans la farine des portions de
l’extérieur des grains, on ne peut généralement pas retirer ou extraire plus de
75 % du poids du grain, ce qui donne une farine blanche sans son ni germe.
L’amidon
est le principal constituant des plantes et de la farine, avec environ les
deux-tiers du poids du grain. Au micoscope, l’amidon se présente sous la forme
de plusieurs petites pastilles (granules) faites de filaments que seuls des
couteaux spéciaux peuvent couper (les enzymes amylasiques ou amylases). Lors de
la mouture, ces granules sont égratignés, ce qui est une porte d’entrée pour
l’eau et les enzymes en question. Ces enzymes libèrent des petits bouts
d’amidon que peuvent utiliser les levures pour former le gaz faisant gonfler la
pâte non sucrée. Si la température de la pâte augmente lors de l’enfournement,
les petits couteaux attaquent plus rapidement : l’amidon solidifie plus tard et
ne freine pas l’expansion de la pâte, ce qui donne du pain volumineux.
Le
blé contient environ 8-15 % de protéines, selon la variété. De composition très
variable, les protéines (du grec prôtos, premier) sont les ingrédients de base
des êtres vivants. Les protéines du lait sont les caséines, les constituants
majeurs du fromage. La majorité des protéines du blé (80 %) servent à assembler
le gluten (du latin glu qui signifie colle), une substance qui a des propriétés
semblables à la gomme à mâcher. Assemblé en présence d’eau par le travail du
pétrissage, le gluten donne de la force à la pâte. Cette propriété très
spéciale lui permet de se comporter comme un élastique et de gonfler sous la
poussée des gaz surtout produits par les levures pendant la fermentation de la
pâte. Le gluten du blé, c’est ce qui donne des pains avec une texture aérée si
appréciée mondialement!
Une
farine de qualité donne des résultats constants et répond aux besoins des boulangers,
par ses propriétés et son coût. La farine et la qualité de son gluten varient
beaucoup selon la variété de blé, l’environnement et, un peu, selon les
conditions de mouture et d’entreposage. Une farine ne pouvant être optimale
pour tous les pains, voici 10 questions pour en préciser les critères d’achat.
1. Les grains étaient-ils en santé et
propres?
Un
examen visuel approfondi des grains permet généralement au meunier de s’assurer
de la nature de la céréale et de détecter certaines maladies. Les seuils de tolérance du déoxynivalénol,
une dangereuse mycotoxine produite par des moisissures de type Fusarium,
sont : 2 mg par kg de blé non nettoyé et destiné à la consommation humaine
(Canada) et 1 mg par kg de produit de blé fini (États-Unis). Sans impact sur la
santé, l’autre risque microbiologique vient normalement d’une bactérie (Bacillus
mesentericus) dont les spores survivent à la cuisson du pain. Indice de
conditions insalubres, cette bactérie vient surtout de la farine et cause
rarement des problèmes de conservation (pain filant). La farine entière
contient le plus grand nombre de microorganismes (bactéries, moisissures,
levures) ce qui a un effet négligeable sur la qualité du pain parce que ce
dernier est stérile à la sortie du four.
Puisque
les contaminants sont concentrés sur l’enveloppe des grains, leur nettoyage
incomplet affecte la qualité de la farine surtout si elle est entière. Les
grains doivent donc avoir été nettoyés à fond avant leur mouture (grains
étrangers, pailles, pierres, métaux, insectes, terre, poussières, etc.),
idéalement avant leur livraison au moulin.
2. Quand et comment les grains
ont-ils été récoltés, entreposés et moulus?
La
farine à pain donne des résultats irréguliers en panification surtout jusqu’à
environ 4-7 jours après sa mouture. Pendant 2-3 mois après une nouvelle récolte
de grains, cette période s’allonge à plus d’une semaine avant de panifier sans
surprise la farine.
Les
grains et les farines entreposés doivent contenir moins de 15 % d’eau sinon ils
peuvent moisir et former des mycotoxines. Des variations d’humidité des grains
favorisent la condensation d’eau en surface et peuvent aussi stimuler la
formation de mycotoxines. Les changements d’humidité de la farine affectent
aussi l’absorption d’eau de la pâte à pain. À environ 20 EC dans un
endroit inodore et sec, la farine blanche se conserve environ un an sans
changement important de qualité panifiable ou de saveur. Cette période est
environ 2-3 mois pour la farine entière à cause de la présence de germe
contenant des gras insaturés sensibles à l’oxydation et formant des composés
rances.
3. Les grains étaient-ils germés? La
farine contient-elle suffisamment d’amylases?
Les
amylases attaquent rapidement l’amidon hydraté. L’analyse de leur activité
permet au meunier de détecter les grains germés (indice de chute de 60-100
secondes), ce qui donne des pâtes et des mies de pain très collantes à cause de
la trop grande dégradation de l’amidon endommagé. Une quantité adéquate
d’amylases (indice de 250 ± 25 secondes) donne généralement du pain avec une
mie juste assez ouverte, surtout à cause du travail des amylases qui prolongent
l’expansion de la pâte en retardant la solidification (gélatinisation) de
l’amidon lors de la cuisson. Des blés déficients en "-amylase
donnent plutôt un indice supérieur à 400 secondes, la limite de lecture de
l’appareil. Un manque d’amylases retarde la fermentation des pâtes non
supplémentées de sucre et fermentées longtemps. Ce défaut est partiellement
compensé par beaucoup de dommages à l’amidon ce qui multiplie les sites
d’action des amylases.
4. La dureté des grains et les
dommages à l’amidon de la farine sont-ils adéquats pour le pain désiré?
Au
Canada, les farines panifiables viennent de quelques variétés de blé dont la
dureté est élevée et relativement semblable. Le meunier a tout intérêt à
surveiller la dureté et les dimensions des grains pour uniformiser les
conditions de fabrication de la farine. Plus les grains sont durs, plus ils
résistent à la mouture ce qui augmente les dommages à l’amidon de la farine. La
pâte absorbe alors beaucoup d’eau telle une éponge et l’amidon entre en
compétition avec le gluten pour l’eau disponible. Surtout si certaines
conditions sont réunies (beaucoup d’amylases thermostables, fermentation
longue, basse température de cuisson), les amylases liquéfient rapidement cette
«éponge» très endommagée et la pâte devient collante. Après la cuisson, une
partie de l’eau en excès et faiblement retenue migre dans la croûte du pain qui
devient hydratée, molle et non croustillante. Davantage une question de dureté
des grains que de procédé de mouture, une farine avec beaucoup d’amidon
endommagé est donc recommandée pour les pains de mie dont la croûte est molle,
pas pour les pains cuits sur sole réputés pour leur croûte croustillante.
5. La farine absorbe-t-elle
rapidement beaucoup d’eau?
La
composition de la farine affecte le temps de pétrissage et son absorption
d’eau. La farine fine et contenant beaucoup d’amidon endommagé s’hydrate
rapidement, est facile à pétrir et donne beaucoup de pâte. Une farine riche en
protéines et en son absorbe aussi beaucoup d’eau mais l’hydratation est plus
lente. Règle générale, un pain contenant beaucoup d’eau semble plus frais,
rassit plus lentement surtout s’il contient beaucoup de mie mais moisit plus
vite.
6. La force des protéines du gluten
est-elle adéquate pour le pain désiré?
La
farine à pain contient environ 10-14 % de protéines (base de 14 % d’eau), soit
0,5-1,0 % de moins que les grains dont elle est issue (base de 13,5 % d’eau). Plus
une farine contient de protéines de gluten (80 % des protéines totales), plus
grandes sont les probabilités d’avoir une farine forte, capable de jouer un
rôle structurant pour former une pâte tenace et donner un pain volumineux. Cependant,
plus une farine est complète, plus elle est riche en protéines mais ces
dernières diluent celles du gluten car il y a davantage de protéines non
structurantes (non de gluten) en périphérie qu’à l’intérieur des grains de blé.
Les
pains de mie volumineux et cuits en moule exigent des farines riches en
protéines, juste assez extensibles et imperméables aux gaz. Surtout si ces
pains sont faits rapidement, leur volume augmente directement en fonction de la
quantité de protéines de gluten dans la farine mais leur qualité joue aussi un
certain rôle. Pour les pains non moulés et cuits sur sole tels ceux de
tradition française et les pains plats, la quantité de protéines a peu d’effet
comparativement à leur qualité surtout si le procédé est lent (pétrissage et
fermentation) comme c’est le cas en panification artisanale (Faergestad, E.M.,
Molteberg, E.L., & Magnus, E.M. 2000. J. Cereal Sci. 31,
309-320). Estimée par le
rapport hauteur/largeur de ces pains, la rétention d’une forme adéquate de la
pâte non moulée est donc indépendante de la teneur en protéines de la farine. De
plus, la plupart des pains avec un rapport croûte-mie élevé ont aussi besoin de
farines moins fortes que les pains de mie sinon leur croûte devient
caoutchouteuse et résiste à la mâche, un défaut majeur mais commun.
La
mesure de la force du gluten permet de porter un meilleur jugement que la
quantité de protéines ou de gluten car les propriétés du gluten dépendent de la
variété de blé et ses conditions de culture et se mesurent par sa résistance à
des stress (pétrissage, fermentation, vibrations typiques des lignes de
production). La tolérance de la pâte au pétrissage (farinogramme) ou à
l’étirement (alvéogramme, extensogramme) diminue en fonction de l’extraction de
la farine.
7. Comment les grains ont-il été
moulus?
La
majeure partie de la farine à pain est produite par le passage progressif des
grains entre plusieurs séries de cylindres métalliques suivi du tamisage des fractions
extraites. Cette farine provient généralement d’un mélange de lots de grains
issus de quelques variétés de dureté et de dimensions uniformes. Contrairement
à la mouture sur meules qui n’utilise souvent qu’un seul passage des grains
entre les meules, la mouture sur cylindres a l’avantage de mélanger certains
courants de farines pour uniformiser davantage la qualité des farines
commerciales.
Surtout
produite à petite échelle et associée à l’agriculture biologique, la farine
moulue sur meules de pierre est surtout populaire en boulangerie artisanale. À
extraction égale, cette farine contient davantage de son et de germe que celle
produite sur cylindres ce qui explique qu’elle se distingue généralement par sa
valeur nutritive, sa saveur mais aussi son impact négatif sur le volume du
pain. À cause de sa nature artisanale et sa facilité à répondre à des demandes
spécialisées, la mouture sur meules peut être très utile pour transformer des
lots spécifiques de grains d’une variété de blé.
8. Quelle est la teneur en son de la
farine?
Plus
l’extraction des grains est poussée, plus la farine contient de son et de
minéraux, plus sa couleur est foncée, plus sa saveur est prononcée mais plus le
volume du pain est faible. Plus simple que celui du son, le dosage des minéraux
totaux (cendres) est un indice fiable de la teneur en son, c’est-à-dire de la
quantité de farine extraite des grains. La concentration de minéraux dans la
farine varie selon le type de blé et la récolte, ce qui rend difficiles les
comparaisons. Selon les Règlements de la Loi des Aliments et Drogues, la farine
blanche doit renfermer moins de 1,2 % de cendres; la farine complète doit en
contenir 1,25-2,25 %. Une farine à pain blanche moulue sur cylindres contient
environ 0,5 % de minéraux totaux.
9. La farine contient-elle des
additifs?
Contrairement
au secteur artisanal, la majorité des farines pour les boulangeries
industrielles contiennent plusieurs des additifs suivants, surtout destinés à
accélérer la production du pain ou uniformiser sa qualité.
A)
Agent de blanchiment. Le peroxyde de benzoyle (150 ppm maximum) est le seul
agent pour blanchir les pigments de la farine qui passent de crème à blanc,
selon la dose. Il ne joue aucun rôle fonctionnel sur les autres constituants de
la farine et n’est ajouté qu’en minoterie.
B)
Agents de maturation. Très populaires en boulangerie industrielle, l’acide
ascorbique (200 ppm maximum) et l’azodicarbonamide (45 ppm maximum) renforcent
le gluten, ce qui est très utile pour les procédés rapides de panification mais
non les procédés avec longs temps de pétrissage et de fermentation. Le
chlorhydrate de L-cystéine (90 ppm maximum) est plutôt utilisé comme agent
relaxant du gluten, pour faciliter le pétrissage des pâtes industrielles. D’autres
additifs sont permis mais leur usage est rare sinon nul en panification : le
chlore (gâteaux surtout), le bioxyde de chlore, le peroxyde d’acétone et le
persulfate d’ammonium (250 ppm).
C)
Enzymes. Pour uniformiser l’indice de chute de la farine, on peut ajouter des
amylases commerciales, mais aussi de la farine d’orge malté (moins de 0,5 % du
poids de farine) ou de la farine de blé malté. Les enzymes suivantes sont aussi
permises : glucoamylase (appelée amyloglucosidase ou maltase), glucose oxydase,
lactase, lipase, lipoxydase (ou lipoxygénase), pentosanase, pullulunase et
protéases (broméline).
D)
Supports de fermentation. Le phosphate monocalcique (7500 ppm) et le chlorure
d’ammonium (2000 ppm) peuvent être ajoutés comme nourriture de la levure.
E)
Suppléments nutritifs. La Loi des Aliments et Drogues prévoit l’enrichissement
obligatoire de la farine (synonyme de farine blanche, farine enrichie ou farine
blanche enrichie) mais non de la farine de blé entier (ou farine de blé
complet). Pour 100 g de farine, le meunier doit donc ajouter 5,30 mg de niacine
ou de niacinamide, 4,4 mg de fer, 0,64 mg de thiamine, 0,40 mg de riboflavine
et 0,15 mg d’acide folique. Quelques additifs sont optionnels : 190 mg de
magnésium, au moins 140 mg de calcium sous diverses formes, 1,3 mg d’acide
d-panthoténique et 0,31 mg de vitamine B6.
10. Quels sont les résultats en
panification?
Un
test de panification standardisé demeure la meilleure façon de déterminer la
qualité de la farine à pain.
Adapté d’un article publié dans La Fournée (janvier-février-mars 2002; Volume 56 (1)), ce texte est le vingt-septième d'une série d'articles sur les bases scientifiques de la boulangerie-pâtisserie. Cette série est coordonnée par Pierre Gélinas, Ph. D., chercheur scientifique dans le secteur de la transformation des produits céréaliers (qualité des farines et des produits de boulangerie-pâtisserie) au Centre de recherche et de développement sur les aliments (CRDA) d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, à Saint-Hyacinthe.